[Interview] La pharmacie clinique en Angleterre

pharmacie cliniqueJ’ai récemment eu l’opportunité de rencontrer (virtuellement) deux pharmaciens cliniciens, Dany Ros (DR) et Stephane Jaglin (SJ), exerçant en Angleterre. Ils ont gentiment accepté de me présenter le fonctionnement de la pharmacie clinique outre-Manche. Le petit plus : ils sont tous les deux français et diplômés de France et ont donc le recul nécessaire pour pouvoir comparer le système de ces deux pays.

PRÉSENTATION DE LA PHARMACIE EN ANGLETERRE

DR : Le rôle des pharmaciens en Angleterre a beaucoup évolué depuis les dix dernières années. Comme en France, le pharmacien, à la base, ne faisait que délivrer des ordonnances.

En 2005, le « Pharmacy New Contract » rajoutait 2 nouveaux niveaux de services pharmaceutiques, en plus du niveau « Essential Services » :

  1. Essential Services : ce sont les activités pharmaceutiques de base comme la délivrance des ordonnances, la vente de médicaments et les conseils au comptoir, ainsi que le « Repeat Dispensing » (renouvellement automatique d’ordonnances en s’assurant de la concordance du patient et en prévenant le médecin si le patient ne suit pas les instructions ou ne prend pas ses médicaments comme prescrits).
  2. Advances Services : ce sont les activités qui comprennent les « Medicines Use Review » (entretiens pharmaceutiques), et les « New Medicine Service » (suivi des patients pendant les 4 premières semaines suivant l’initiation d’un nouveau médicament antidiabétique, antihypertenseur, diurétique, anticoagulant et/ou AINS).
  3. Enhanced Services : délivrance gratuite de la pilule du lendemain pour les femmes de 16 à 25 ans, suivi du sevrage tabagique à raison d’une fois par semaine pendant 8 semaines (ou plus si nécessaire), supervision des patients sous Méthadone et Buprenorphine, « Minor Ailments Scheme » (protocoles permettant aux pharmaciens de délivrer certains médicaments de liste I ou II pour certaines infections aigües, comme les infections urinaires basses, conjonctivites bactériennes, impétigo, etc.)

De nos jours, certaines pharmacies font également des dépistages du diabète, du VIH, des tests sanguins d’INR pour les patients sous Coumadine, etc.

Les pharmaciens anglais peuvent prescrire depuis 2006. Maintenant, ils sont de plus en plus nombreux à pouvoir prescrire et on parle même de droit de prescrire dans le cursus universitaire. Cependant, le pharmacien ne peut, pour l’instant, prescrire que s’il travaille dans un cabinet médical avec des médecins ou à l’hôpital. On veut néanmoins étendre ces droits dans les pharmacies d’officines pour certaines maladies à courte durée pour éviter les consultations inutiles dans les urgences ou chez les médecins.

LA PLACE DE LA PHARMACIE CLINIQUE EN ANGLETERRE

DR : La pharmacie clinique est maintenant omniprésente dans tous les milieux pharmaceutiques. On essaie de ne pas différencier entre les pharmaciens d’officines, hospitaliers ou cliniques. Le but est d’arriver à une profession unique où tous les pharmaciens pratiquent la pharmacie clinique. Et ce sans division ou supériorité entre les pharmaciens.

Vous pouvez cliquer ici pour en savoir plus.

SJ : La pharmacie clinique est bien établie et reconnue dans les hôpitaux anglais depuis longtemps, elle commence à s’établir plus récemment en ville. Les pharmaciens font de plus en plus partie des décisions de santé publique et les « independant prescribers » font leur apparition dans les cabinets de médecins et à l’hôpital.

Le reste de l’équipe pharmaceutique suit et les préparateurs ont à présent un parcours professionnel très intéressant, varié et financièrement reconnu.

Personnellement, je ne fais que ça 5 à 6 jours par semaine, c’est ce que je voulais faire quand j’ai décidé de faire mes études de Pharmacie et je ne suis pas déçu ! J’ai la chance de travailler avec une collègue qui aime tout ce qui est administration, législation, long meetings etc. Donc on s’entend bien.

MON PARCOURS

DR : Diplômé de la faculté de pharmacie de Paris V, j’ai commencé ma carrière en Angleterre en 1998. J’ai obtenu un DU de pharmacie clinique à l’université de Cardiff et espère commencer mon DU de Pharmacien Prescripteur cette année.

SJ : Pharmacien depuis 1993, j’ai pratiqué en France quelques années et suis en Angleterre de manière permanente depuis 1998. Je suis père de deux garçons (15 mois et 5 ans) et nous vivons à Chipping-Sodbury (Bristol, UK) dans une maison essentiellement solaire depuis 2008 (une de mes passions).

Diplôme de Pharmacien obtenu à Nantes en 1993 et thèse complétée à Cardiff (Erasmus) et soutenue à Nantes. Après avoir passé mon service militaire à l’hôpital Clermont Tonnerre de Brest, j’ai fait quelques remplacements dans le Finistère et les côtes d’Armor avant de retourner en Angleterre.

Là j’ai poursuivi une carrière classique à « Boots the Chemist » avec une alternance de postes de Pharmacien, Pharmacy manager et Store manager.

En 2009 le système de santé anglais s’ouvre au secteur privé et les ISTC se créent (Independent sector treatment centres) et je saute sur l’occasion pour quitter la Pharmacie de ville de plus en plus commerciale pour retourner à des activités cliniques plus proches des patients.

MON POSTE

DR : Après avoir travaillé dans des pharmacies d’officine en tant que Pharmacien Manager pendant environ 20 ans, je travaille dorénavant dans des cabinets médicaux en tant que « Medicines Optimisation Pharmacist ».

emerson green bristol
La clinique d’Emerson Green (Bristol)

SJ : Le titre officiel est « Clinical Pharmacist and Thrombosis lead » pour 2 cliniques (Bristol et Devizes), mais l’étendue de mes activités est très vaste. C’est l’avantage de travailler dans un ISTC où la flexibilité est plus facile que dans le système public (NHS).

Je m’occupe notamment de la formation continue de mes collègues pharmaciens et techniciens en délivrant des cours/conférences.

Nous avons commencé cette année le « Clinical supervision », soit mot à mot « supervision clinique » : je visite tous nos pharmaciens et je passe une journée avec eux en les suivant dans leurs activités. A la fin de la journée nous avons un entretien où je peux discuter des observations et comparer constructivement ma pratique avec celle de mes collègues. La visite est suivie d’un plan d’action pour le ou la collègue visité(e) mais aussi pour moi car j’apprends aussi des bonnes pratiques hospitalières. Ce processus va s’intégrer dans notre système de « revalidation » annuel (introduit cette année) où tous les pharmaciens qui pratiquent devront fournir des preuves au conseil de l’ordre Britannique (RPS et GPhC) de leur formation continue sous peine de ne pas être réenregistrés.

Je fais également partie d’une organisation (ThrombosisUK) qui s’occupe de l’éducation du public et des professionnels de santé sur le sujet de la thrombose (première cause évitable de décès pendant un séjour à l’hôpital).

J’organise/collabore à l’organisation de conférences locales, régionales et internationales où le sujet de la thrombose est au centre des débats. Nous collaborons avec ISTH qui organisera ses conférences mondiales à Londres en 2022 et nous avons commencé les préparations. Dans le système de santé anglais, ce genre d’organisation à but non lucratif a un rôle prépondérant et il en existe pour le diabète, le cancer, les maladies du rein, etc. Elles sont impliquées directement dans la rédaction des « guidelines » nationales de NICE (National Institute for Clinical Excellence, société savante pour l’Angleterre, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles) ou SIGN (Scottish Intercollegiate Guidelines Network) pour l’Ecosse. Cette année par exemple j’ai participé directement à la rédaction du document de NICE sur la prévention des thromboses à l’hôpital.

Enfin, je fais partie du comité général de UKCPA (UK Clinical Pharmacist Association) qui organise des événements éducatifs locaux et nationaux pour les équipes de pharmacie et participe aussi à la rédaction de guide clinique officiel.

MES MISSIONS PHARMACEUTIQUES

DR :

  1. Bilans de médications à la sortie des hôpitaux
  2. Consultations avec les patients, soit face à face, soit au téléphone
  3. Donner des informations sur certains médicaments, protocoles sur certains traitements
  4. Travailler avec les infirmières et autres pharmaciens pour gérer certaines infections à longue durée
  5. Ré-autoriser certaines ordonnances après revue des examens biologiques

SJ :

  • Spécialités : thrombose (prévention et traitement, essentiellement veineuse mais aussi occasionnellement artérielle), analgésie post opératoire, antibiothérapie péri-chirurgicale, prévention et traitement des nausées et vomissement péri-opératoires.
  • Evidence based medicine (#EBM) : m’assurer que les patients reçoivent des médicaments appropriés et fondés sur des bases scientifiques.
  • Patient safety : la sécurité des patients, autrement dit « le bon médicament pour le bon patient à la bonne dose et au bon moment » (right patient, right dose, right form).
  • Education : mettre le patient au centre des décisions concernant leur santé et leur apporter les informations nécessaires pour les aider à participer au choix. Partager mon savoir avec mes collègues (au sens large) et mes patients.

J’ajouterai que plus j’apprends et plus je me rends compte de l’étendue des connaissances qu’il me reste à acquérir. Dans notre profession, il est primordial de se maintenir au courant des développements en permanence. A presque 50 ans, je suis un cours par correspondance de pharmacie clinique à l’université de Belfast, et mon hôpital qui reconnait notre rôle participe au financement de ma formation continue.

MA JOURNÉE-TYPE

DR : Je pratique la pharmacie clinique au quotidien. J’interviens surtout sur la diabétologie, les maladies cardiovasculaires, et les maladies respiratoires. La partie clinique de ma pratique varie en fonction de mes activités journalières : recherche sur système informatique, projets de recherche ou consultations :

  • Matin : optimisation des traitements et des bilans médicamenteux.
  • Après-midi : consultations et réponse aux diverses demandes d’information sur certains médicaments ou traitements. Par exemple : patiente végétarienne sous Fragmin.

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SJ : Il n’y a pas vraiment de journée type, mais quand je suis a l’hôpital, en général ça se passe de la manière suivante :

  • 08h30 (j’arrive à 08h00 pour prendre le café et bavarder) : « Clinical screening » des ordonnances urgentes et résolutions des problèmes cliniques urgents.
  • 09h00 -> 10h30 : « MDT » ward round, soit tour de visite des patients du service chirurgie avec l’équipe pluridisciplinaire (Chirurgien, Anesthésiste, Pharmacien, Infirmière et Physiothérapies). 33 lits, essentiellement chirurgie orthopédique non-urgente (genou, hanche, pied), générale (vésicule biliaire) ou gynécologie majeure (reconstruction de plancher pelvien et hystérectomie).
  • 10h30 -> 14h00 : vérification clinique des ordonnances (accès aux données médicales des patients pour détecter interactions médicament-médicament ou médicament-patient), allergies, etc. Le tableau ci-dessous est la manière dont nous répertorions nos interventions, cela explique mieux ce que nous détectons.
Clinical interventions (Pharmacy)
  • 15h00 -> 16h30 : tour du service chirurgical pour voir les nouveaux patients, réconciliation médicamenteuse et vérification clinique des ordonnances hospitalières.

Tout au long de la journée, je réponds aux questions des infirmières, médecins et patients des différents services (préadmissions et admissions, blocs d’opérations, service de réanimation et/ou médecins/patients qui sont déjà rentrés chez eux).

RELATION ET POSITION DU PHARMACIEN CLINICIEN AVEC LES AUTRES PROFESSIONNELS DE SANTÉ, NOTAMMENT LE MÉDECIN

DR : Le pharmacien clinicien est maintenant accepté par les autres partenaires de santé. De plus en plus de médecins se demandent comment ils ont pu faire sans les pharmaciens dans leurs cabinets médicaux avant.

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SJ : D’après le projet IBM Watson, la somme de données scientifiques médicales double tous les 3 ans ; en 2020 ce sera tous les 73 jours ! Aucun professionnel de santé ne peut plus travailler seul désormais.

L’équipe pharmaceutique (pas seulement le pharmacien) a un rôle au sein de l’équipe multidisciplinaire en tant que spécialiste du médicament. Comme les infirmières, nous passons beaucoup plus de temps avec les patients et cette relation est importante pour s’assurer que le médicament prescrit sera pris correctement par le patient (dans le tiroir ça ne marche pas). L’information au patient assure également qu’ il sait comment gérer les effets secondaires potentiels et qui contacter s’ils surviennent.

Quand j’ai débuté mon travail de pharmacien clinicien en 2009, j’appelais les médecins quand j’avais un doute à propos d’une ordonnance. A présent c’est plus souvent les médecins et infirmières qui m’appellent. Cette année, un chirurgien avec qui j’avais travaillé et qui est allé pratiquer en Espagne, m’a appelé pour discuter d’un patient avec moi. Je dois avouer que c’était un moment inoubliable, et cela m’a indiqué que la profession allait dans la bonne direction !

Si vous souhaitez poser des questions à Dany Ros ou Stephane Jaglin, n’hésitez pas à le faire en commentaire ci-dessous.

Interviews de Dr Dany Ros, Medecines Optimisation Pharmacist, et de Dr Stephane Jaglin, Clinical Pharmacist & Thrombosis Lead, rapporté par Dr Ordoscopie, Pharmacien

18 Comments

  1. Bonjour Mr Ros,
    Merci pour cet interview, très intéressant qui nous motive en France à continuer dans ce sens :)!
    Dîtes-moi, est ce que votre poste correspond à ce qu’on appelle des GP Pharmacist ?
    Si non, quelle est la différence ?

  2. Oui. Il y 2 types majeures de GP Pharmacists. Soit employé par le cabinet médical et dans ce cas-là, plus de liberté de ne travailler que pour les intérêts des médecins. Soit employé par la CCG (Clinical Commissioning Group, équivalent de la DRAS ?), et travaillant pour les médecins et la CCG.

  3. Bonjour !! Merci pour cette interview très intéressante !!
    Serait il possible d’avoir une idée du salaire d’un pharmacien clinicien en Angleterre ?
    Merci !!

  4. Bonjour,
    Merci beaucoup pour votre témoignage très intéressant ! Existe t’il des cabinets médicaux qui prennent en stage des pharmaciens étrangers (en l’occurence français) pour apprendre toutes les ficelles du métier de “Medicines Optimisation Pharmacist “ ? On a tellement à apprendre maintenant que les bilans de médication sont à notre portée, ce serait formidable pouvoir profiter de l’experience britannique.
    Merci,
    Aude

    • Difficile de faire cela en simple stage de formation car vous vous heurtez aux problèmes d’assurances professionnelles. Au niveau hospitalier, je penses qu’il serai possible d’organiser un « shadowing » ou vous suivriez le collègue Anglais dans son travail pour 50% du temps et le reste en apprentissage plus académique + amélioration de la langue. Ce genre de projet a certainement du se faire, probablement a organiser de manière ponctuelle, si vous avez besoin de plus de détails pour faire un étude de faisabilité, DrOrdocopie peut nous mettre en contact…

  5. Bonjour,

    Comment se passe l’équivalence pour un diplôme de Dr en Pharmacie français, si on veut aller travailler en Angleterre ?

    Merci pour votre réponse, et votre témoignage.

  6. Bonjour,

    Je suis en charge des Relations Internationales au sein de la Fédération nationale des internes en Pharmacie hospitalière (FNSIP-BM).
    Je vous soumets 2 questions de l’un de nos adhérents qui va rechercher un emploi dans une pharmacie hospitalière en Angleterre à la fin de son internat (novembre). Je vais lui communiquer le lien de votre précédent commentaire qui apporte déjà quelques réponses. Néanmoins je suis preneur de précisions pour répondre à ses questions :

    1) Le diplôme de pharmacien hospitalier français, (différent du diplôme de pharmacien d’officine) est-il reconnu en Angleterre ?
    2) Au delà des procédures administratives classiques (assurances professionnelles, GPhc, test de langue…), y a t-il une équivalence à passer ou des démarches supplémentaires à effectuer pour pouvoir travailler en milieu hospitalier ?

    Je vous remercie pour votre retour et reste à votre disposition,
    Bien à vous.

  7. Bonjour,
    J’aimerais savoir combien d’années d’ études il faut faire en Angleterre pour être préparatrice en pharmacie ? j’ ai 17 ans je suis a ma dernière année de lycée et j aimerai avoir ces infos pour pouvoir m’orienter l’an prochain. Je n’arrive pas à me décider si je devrais commencer la pharmacie en France ou aller en Angleterre 🙁

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